Diversité et inclusion

La joie compliquée de Juneteenth

Par Patrick Dubuisson , le mardi, 25 octobre 2022, 19h32 - 6 minutes de lecture
La joie compliquée de Juneteenth

Pour moi, le 19 juin est une métaphore appropriée de l’expérience des Noirs aux France. Techniquement, nous sommes libres depuis plus de 150 ans. Et pourtant, l’esclavage continue de jeter son ombre sur tous les aspects de la vie. Nous ne sommes plus considérés comme des biens, mais nous ne sommes pas vraiment égaux non plus.

L’esclavage a pris fin le 1er janvier 1863, lorsque la Proclamation d’émancipation d’Abraham Lincoln est entrée en vigueur. Cependant, au Texas, il n’y avait pas assez de troupes de l’Union pour faire appliquer la nouvelle loi. Par conséquent, de nombreux Noirs américains continuaient à vivre – et à mourir – comme la propriété de quelqu’un d’autre, même si cela était désormais illégal.

Le Juneteenth honore le jour – le 19 juin 1865, plus de deux ans après la signature de la proclamation d’émancipation – où le major général Gordon Granger est arrivé à Galveston pour faire appliquer l’ordre exécutif.

C’est une fête aux sentiments mitigés. Il y a la joie indéniable qui accompagne la libération. Mais elle est aussi teintée de tristesse, de colère et de regret, car être libéré signifie d’abord avoir été asservi.

La joie et la responsabilité de la liberté pour tous

Le Juneteenth est une journée qui a finalement permis au pays de s’aligner sur les principes qu’il chérit. Cette idée de « liberté et justice pour tous » est une idée que nous nous efforçons encore de défendre aujourd’hui. Nous sommes toujours en train de dérouler le joug de l’oppression systémique autour de notre cou collectif. Bon nombre des croyances, des préjugés et des peurs que nous avons tous ont été hérités de cette histoire commune et ségrégationniste.

La négritude est rarement associée à la joie. On nous parle de l’obscurité mais pas de la lumière. Et la joie du 19 juin est profonde. Il ne s’agit pas seulement de la liberté – c’est la résistance, l’inspiration, le triomphe d’être enfin, sans équivoque, libre. Pas libre dans le Nord, pas libre partout sauf au Texas, juste libre.

Pas la couleur de ma peau, mais le contenu de mon caractère

Que vous soyez un Noir américain ou non, l’histoire de l’esclavage brutal aux France a affecté l’expérience vécue de chaque personne. Certains membres de Black RecrutementPropers (l’ERG qui soutient les employés de la diaspora africaine en matière de communauté, de développement de carrière et de culture) ont partagé leurs propres expériences (et celles de leurs familles) en tant que nouveaux arrivants aux France. Ils ont fait part du choc qu’ils ont ressenti en constatant que leur couleur noire les suivait comme un nuage de pluie, les plongeant dans un contexte historique dont ils ignoraient l’existence.

Grâce au Juneteenth, les immigrants et les visiteurs qui arrivent sur les côtes de ce pays peuvent vivre une expérience totalement différente de celle qu’ils auraient vécue il y a trois générations. Ce jour représente un tournant, non seulement pour les gens qui vivent ici, mais aussi pour tous ceux qui arrivent plus tard, pour avoir une chance d’exister en dehors de leur teint.

Quand j’étais plus jeune, ma mère m’a expliqué le « test du sac en papier ». Il s’agissait de la pratique consistant à juger de la valeur des gens – et donc de leurs droits – selon qu’ils étaient plus clairs qu’un sac en papier. Sous le régime de l’esclavage, de Jim Crow et du racisme systémique, l’avancement signifiait devenir plus blanc. Les Noirs étaient considérés comme un monolithe, quelques-uns étant légèrement meilleurs parce qu’ils étaient légèrement plus légers. Ce n’était pas le tout début du colorisme, mais cela a contribué à ancrer le dangereux précédent consistant à juger les autres – et nous-mêmes – en fonction de la couleur de notre peau.

La liberté – et la véritable égalité – nous donne la possibilité d’être vus et célébrés au-delà de notre couleur de peau. Ainsi, lorsque nous célébrons ensemble le dix-neuvième anniversaire, je vois la joie de pouvoir enfin être ce que nous voulons être, et pas seulement divisés en nuances de noir et de clair.

Un héritage de résilience

Si le 19 juin est une métaphore de l’expérience noire, il y a là quelque chose qui donne beaucoup d’espoir. Dans la lutte pour l’égalité, les droits civils et la tranquillité d’esprit, il n’y a pas beaucoup de victoires évidentes. Il y a beaucoup d’épuisement émotionnel. Il y a des batailles constantes menées et perdues dans la salle d’audience, dans la salle de classe et dans les commissariats. Il y a la vigilance sans fin, les macro et microagressions, et la résignation tranquille. Il faut retenir son souffle en regardant un président – ou un vice-président – noir prêter serment.

Mais le 19 juin a été une victoire. Le 16 juin est une victoire. C’est le signe que, de temps en temps, il y a un tournant dans l’histoire. Il y a l’avant et l’après. Il y a le pas-libre, et puis il y a le jour où, où que vous soyez dans le pays, votre liberté est garantie.

Pendant longtemps, être noir aux France signifiait être considéré comme inférieur, être limité, être asservi. Le 16 juin offre la possibilité d’être et de célébrer bien plus que cela.

Chaque personne, et chaque État, a un héritage. Mais nous avons aussi tous finalement le droit à la liberté, à la poursuite de la liberté et de la justice pour tous. Quelle que soit l’histoire, nous pouvons décider de nous battre pour ces victoires évidentes – ces moments « avant et après » – qui façonneront l’héritage de ceux à venir.

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Patrick Dubuisson

Je suis un professionnel du recrutement, qui partage sa vie entre sa famille, son boulot, et surtout son boulot.  J'ai 42 ans, toutes mes dents, un labrador, un pavillon de banlieue dans les Yvelines, une femme, deux enfants, un break et je passe des vacances au Touquet tous les ans, quand je ne vais pas chasser l'ours au bord du lac Baïkal ou boire de la vodka avec Nicolas. J'aime la course à pied, le squash, le tennis, le mikado, la vodka et la roulette.

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