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Ce qu’est le paradoxe d’Abilene et les moyens de le minimiser

Par Patrick Dubuisson , le mardi, 25 octobre 2022, 19h30 - 9 minutes de lecture
Ce qu'est le paradoxe d'Abilene et les moyens de le minimiser

Si tout le monde pense que c’est une mauvaise idée, personne ne le fera – n’est-ce pas ?

Pas si vite.

En 1974, le professeur et expert en gestion Jerry B. Harvey a présenté une bizarrerie intéressante des accords de groupe. Il l’a appelé « le paradoxe d’Abilene ». Ce paradoxe décrit la tendance des gens à accepter ce qu’ils pensent que le groupe veut faire, même s’ils ne veulent pas le faire eux-mêmes. Et cela arrive plus souvent qu’on ne l’imagine.

Pour illustrer ce phénomène, Harvey rappelle l’histoire suivante :

Une famille joue à un jeu ensemble par une chaude journée d’été. Le beau-père propose de quitter Coleman, leur ville natale, pour se rendre à Abilene, au Texas, à environ 50 km de là. La femme dit que c’est une bonne idée, le mari est d’accord, et la belle-mère dit qu’elle va venir aussi.

Ils font un trajet chaud et poussiéreux jusqu’à un restaurant médiocre, puis reprennent la route pour rentrer à Coleman. Lorsqu’ils arrivent, en se remettant devant le ventilateur, le mari dit poliment (et de façon peu sincère) : « Super voyage, hein ? ». Sa belle-mère répond : « Pour être honnête, j’aurais préféré rester à la maison ». La femme est d’accord, et le beau-père avoue la même chose. Il s’avère qu’il l’a proposé uniquement parce qu’il pensait qu’ils s’ennuieraient tous en restant à la maison.

Qu’est-ce que le paradoxe d’Abilene ?

Le paradoxe d’Abilene décrit une dynamique de groupe où le collectif s’accorde sur un chemin d’action qu’aucun des membres individuels ne veut faire. Jerry Harvey, l’expert en management qui a identifié et nommé ce phénomène, l’appelle « l’échec de la gestion de l’accord ».

Ce scénario – comme vous pouvez l’imaginer – était frustrant et déroutant pour la famille concernée alors que les enjeux étaient relativement faibles. Mais il peut être préjudiciable et même dangereux sur le lieu de travail. Après tout, un lieu de travail sain dépend des compétences, des idées et des opinions de nombreuses personnes. Lorsqu’il est en jeu, ces voix sont réduites au silence. L’équipe n’est plus engagée dans son propre travail ou dans la croissance de l’entreprise.

Les conséquences négatives du paradoxe d’Abilene sur le lieu de travail sont les suivantes :

  • Déstabilise l’organisation

  • Frustration inexprimée et ressentiment latent

  • Manque de sécurité psychologique

  • Communication inefficace

  • Faible cohésion et collaboration de l’équipe

  • Capacité réduite à résoudre des problèmes

  • Prise de décision compromise

  • Sape la confiance entre collègues et envers les dirigeants

  • Moins de créativité, d’innovation et de prise de risque

Quelles sont les causes du paradoxe d’Abilene dans les équipes ?

Les gens veulent instinctivement se conformer au groupe. C’est un besoin très humain, conçu pour nous protéger des menaces. Dans les temps préhistoriques, se promener seul signifiait être pris par un prédateur.

À l’époque moderne, la peur d’être séparé du groupe est devenue la principale menace. Nous craignons d’être considérés comme désagréables, contraires, non engagés ou « n’ayant pas l’esprit d’équipe ». Bien sûr, nous exprimons rarement ces pensées. Lorsque l’anxiété sociale prend le dessus, nous ruminons les conversations, le langage corporel et les situations. Nous craignons que le fait d’aller à l’encontre du groupe n’entraîne des conséquences néfastes.

Malheureusement, avec le paradoxe d’Abilene, la peur de ce qui pourrait arriver si nous nous exprimons devient plus présente que les conséquences (souvent indésirables) d’aller dans le sens du groupe. Cette peur de s’exprimer est connue sous le nom d’anxiété d’action.

En réalité, le paradoxe d’Abilene résulte d’une sorte de fausse dissonance cognitive. La dissonance cognitive est le malaise psychologique qui survient lorsque nous faisons quelque chose qui ne correspond pas à ce que nous croyons être vrai. Dans ce cas, nous voulons nous aligner sur les autres, mais nous avons également le sentiment que ce que nous pensons que le groupe veut faire est une mauvaise idée. Il en résulte un choix difficile : faire face à l’inconfort de s’exprimer ou à l’inconfort d’être malhonnête sur ses véritables sentiments.

Le paradoxe d’Abilene contre la pensée de groupe

La pensée de groupe est similaire au paradoxe d’Abilene, mais avec une différence essentielle. Dans le cas de la pensée de groupe, les personnes concernées sont consciemment d’accord entre elles. Cela peut être dû à la culture dominante, à l’homogénéité de l’équipe ou à une subtile coercition sur le lieu de travail. Quelle que soit la raison, il y a un manque de pensée individuelle. Cela signifie que le conflit sain et productif qui accompagne les opinions divergentes est également absent.

Avec le paradoxe d’Abilene, les gens sont conscients qu’ils ne sont pas d’accord avec le plan qui est présenté. Ils en voient les défauts et sont conscients de leurs propres réserves, mais choisissent de ne pas s’exprimer parce qu’ils pensent que les autres le soutiennent. Comme le désaccord n’est jamais exprimé par chaque membre individuel, la décision collective avance sans être remise en question.

La sécurité psychologique et le paradoxe d’Abilene

Si les membres d’un groupe ne se sentent pas à l’aise pour être en désaccord les uns avec les autres, le risque que le paradoxe d’Abilene s’installe est plus grand. Les lieux de travail psychologiquement sûrs encouragent et acceptent le désaccord, qu’il s’agisse d’une discussion formalisée ou simplement d’un sentiment général de respect mutuel.

Lorsque les gens succombent à ce piège psychologique, cela favorise un plus grand manque de sécurité psychologique. Comme personne ne s’est exprimé, cela renforce inconsciemment l’idée qu’il n’est pas sûr de le faire.

Les membres du groupe ressentent un risque réel à agir. Vous pouvez remarquer que les gens sont d’accord avec une idée, mais qu’ils hésitent ensuite à en assumer la responsabilité ou refusent de le faire. L’instauration d’une culture qui valorise la créativité, l’innovation et la diversité de pensée peut contribuer à empêcher le paradoxe d’Abilene de s’installer.

Comment créer une culture qui minimise le paradoxe d’Abilene ?

La première étape pour combattre le paradoxe d’Abilene est que les dirigeants reconnaissent son existence. Sans prise de conscience du problème, il persistera. Savoir ce qu’il faut rechercher et contester les accords unanimes peut aider à créer la possibilité pour les gens de parler honnêtement. Voici quelques moyens de renforcer la sécurité psychologique au sein de votre équipe :

1. Désigner un avocat du diable

Le fait d’avoir un membre de l’équipe chargé d’être en désaccord avec le groupe peut aider à prévenir le paradoxe d’Abilene. Cette personne doit avoir une bonne compréhension de la mission et des valeurs du groupe, et être prête à s’exprimer lorsqu’elle n’est pas d’accord avec les décisions de la majorité. Discutez ouvertement des points de vue divergents ou créez un espace pour que les membres de l’équipe puissent exprimer leurs opinions en dehors des réunions.

2. Donner la priorité à la diversité dans les équipes

Si votre équipe est homogène, il est probable que les points de vue similaires seront reconnus tandis que les autres seront rejetés. Cela peut conduire à la pensée de groupe et au paradoxe d’Abilene. Créez des opportunités de perspectives diverses pour éclairer les décisions du groupe et favoriser la créativité dans l’organisation. Le conflit qui peut naître d’opinions divergentes peut aider les équipes à explorer de nouvelles idées et à prendre de meilleures décisions.

3. Équilibrer le travail individuel et la discussion en groupe

En tant qu’individus, nous avons la liberté de choisir comment et quand nous apportons nos idées à un groupe. En même temps, les groupes ont besoin d’espace pour des discussions et des débats ouverts. Il est essentiel de trouver un équilibre entre les deux. Essayez de donner aux gens l’espace nécessaire pour faire du brainstorming de manière indépendante, puis de présenter leurs idées au groupe. Cela permettra de diversifier le point de départ du groupe, de sorte que quelques voix ne volent pas la vedette.

4. Veillez à ce que votre équipe ait toujours un moyen de donner son avis.

Le retour d’information doit faire partie intégrante de la culture de votre lieu de travail. Le retour d’information sur les initiatives de groupe doit faire partie des processus réguliers de votre équipe, qu’il s’agisse d’une boîte à idées formelle ou d’une enquête informelle. Cela permettra de s’assurer que chacun a la possibilité d’exprimer ses opinions et ses préoccupations avant que les décisions ne soient prises. Même si vous n’êtes pas d’accord avec une suggestion, reconnaissez et récompensez la personne qui a eu le courage de sortir des sentiers battus.

5. Apprendre aux gens à ne pas être d’accord avec les soins

En plus d’encourager la dissidence, il est important d’enseigner aux gens comment être en désaccord de façon respectueuse et productive. Cela nécessite une bonne compréhension de la dynamique de groupe, ainsi que la volonté de tous les membres de l’équipe d’écouter les points de vue des autres. L’une des façons d’y parvenir est l’écoute active, ou le développement de la capacité à écouter sans juger.

Dernières réflexions

Il y a une autre leçon que j’ai tirée de la parabole du professeur Harvey sur le paradoxe d’Abilene. Sa famille était contente de jouer aux dominos, mais elle a fini par faire un long trajet parce que chacun pensait que l’autre voulait autre chose. Parfois, ce qu’il y a dehors n’est pas mieux que ce que vous avez à la maison.

Nous laissons souvent nos fantasmes négatifs sur ce qui nous manque dicter notre comportement. Cependant, fuir ses peurs revient à jouer pour ne pas perdre. C’est en étant stratégique et authentique sur le chemin que vous voyez devant vous – et en prenant vos décisions en conséquence – que vous gagnerez. Faites confiance à vous-même et à votre équipe pour vous exprimer tôt et souvent.

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Patrick Dubuisson

Je suis un professionnel du recrutement, qui partage sa vie entre sa famille, son boulot, et surtout son boulot.  J'ai 42 ans, toutes mes dents, un labrador, un pavillon de banlieue dans les Yvelines, une femme, deux enfants, un break et je passe des vacances au Touquet tous les ans, quand je ne vais pas chasser l'ours au bord du lac Baïkal ou boire de la vodka avec Nicolas. J'aime la course à pied, le squash, le tennis, le mikado, la vodka et la roulette.

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